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dimanche 25 juin 2017 à 14h

Fernand Deligny et la cartographi

Week-end autour de Fernand Deligny et de la cartographie au Taslu

Lorsque Barbara Glowczewski était venue il y a quelques mois au Taslu avec sa fille nous parler de la vie et des luttes des Aborigènes d'Australie, nous avions été passionnées par ces « lignes de chant », ce « monde du rêve », et avions eu envie d'approfondir cette réflexion. Nous, quelques habitantes et habitants un peu particuliers d'un espace un peu particulier, avons ressenti le désir de trouver des inspirations afin de commencer à élaborer et à imaginer des conceptions de l'espace plus riches que celle qui a décrété qu'ici, l'avenir serait de béton et d'asphalte.

Barbara nous a alors parlé des « lignes d'erre » de Fernand Deligny, ces cartes retraçant les itinéraires d'enfants autistes au sein d'une « communauté » cévenole. L'histoire de cette tentative nous a fait découvrir un monde fascinant, et à la lecture des ouvrages de Deligny (offerts au Taslu par les éditions l'Arachnéen), nous sommes entrées à la fois dans une écriture et dans le fil d'une vie hors-norme. Nous y avons croisé des enfants « délinquants », des « fous », des inadaptés de tout poil, que Deligny et ses compagnons de route se sont efforcés de « désinstitutionnaliser ». Fuyant tant les cadres étatiques que la célébrité - militante ou anti-psychiatrique - ils ont vogué de faille en faille, hors de vue des citadelles, car « c'est là que vivent les réseaux, au pied du rempart et, le plus souvent, à l'ombre. »

Nous avons donc organisé tout un week-end (il faut bien ça !) dont le samedi sera consacré aux tentatives de Deligny, et le dimanche à la cartographie. Et pour mettre en pratique ce que ces quelques heures auront évoqué en nous, nous proposons de finir par un atelier organisé par le groupe cartographie de la zad, autour de fonds de cartes de ce territoire que nous habitons. « Il s'agit bien, à un moment donné, dans des lieux très réels, dans une conjoncture on ne peut plus concrète, d'une position à tenir » disait Deligny...

Les invités

Barbara Glowczewski, anthropologue et ethnologue, a vécu et lutté pendant 38 ans aux côtés des Aborigènes du désert australien. Elle est l'auteure notamment de : Les rêveurs du désert - peuple warlpiri d'Australie et Rêves en colère - alliances aborigènes dans le Nord-Ouest australien.

Dénètem Touam Bona collabore à la revue « Africultures » et à l'Institut du Tout-Monde ; il est l'auteur d'un essai philosophique et littéraire sur le marronnage, « Fugitif, où cours-tu ?".

Sandra Alvarez de Toledo dirige les éditions L'Arachnéen qui ont publié les Œuvres de Deligny.

Marlon Miguel, chercheur en philosophie et acrobate de cirque, a écrit notamment À la marge et hors-champ : l'humain dans la pensée de Fernand Deligny.

Marina Vidal-Naquet, réalisatrice d'Écorces vives - Au creux de l'allée, prépare une thèse intitulée A côté du cinéma. Présence du cinéma dans les écrits de Fernand Deligny.

Le groupe cartographie de la ZAD, qui n'est plus à présenter !

Fernand Deligny : repères biographiques (par Sandra Alvarez de Toledo)

L'histoire de Fernand Deligny (1913-1996) coïncide avec quelques grandes orientations.de la culture française depuis les années 1930, et plus particulièrement depuis 1945. Il naît dans le nord de la France, à Bergues. Son père est tué pendant la Première Guerre mondiale. Il passe son enfance avec sa mère, […] dans la citadelle Vauban de Lille. Après le lycée Faidherbe, il refuse la perspective de Saint- Cyr, à laquelle le destine son statut de pupille de la Nation, déserte les cours de khâgne puis ceux de philosophie et de psychologie à l'université. Il passe la plus grande partie de son temps à l'asile d'Armentières (à côté de Lille) où il ne remplit, dans un premier temps, aucune fonction déterminée. Il fait son service militaire à Paris (1935-1936), avant d'être affecté à un poste d'instituteur suppléant dans la classe de perfectionnement d'une école du XIIe arrondissement, puis à Nogent. Il adapte librement la méthode Freinet. Muni d'un CAEA (certificat d'aptitude à l'enseignement des enfants arriérés), il retourne en 1938 à l'asile d'Armentières, où il est nommé instituteur spécialisé. Hormis dix mois de mobilisation (septembre 1939- juillet 1940), il y reste jusqu'en 1943. Il supprime les sanctions et, avec les gardiens - ouvriers du textile au chômage, artisans, anciens détenus, etc., promus éducateurs -, il organise des sorties, des jeux, des séances de sport sous les bombardements. Il écrit des pièces de théâtre, des scénarios, des histoires. Son premier livre, Pavillon 3 - chronique de son séjour à Armentières, paraît en 1944.

Sans doute Deligny n'invente-t-il rien : ces années de guerre sont celles de la naissance de la psychothérapie institutionnelle en France, expérimentée par François Tosquelles, psychiatre et militant antifranquiste, à Saint- Alban, en Lozère, dans le sillage de la Résistance et de la Libération. Mais Deligny n'est pas psychiatre et n'entretient avec le parti communiste, comme avec tout le reste, qu'un lien lâche, qui tiendra cependant jusqu'à la fin sur l'idée du « commun ». En 1943, il est détaché au Commissariat à la famille et devient conseiller technique de l'ARSE A (Association régionale de sauvegarde de l'enfance et de l'adolescence) ; il organise dans le vieux Lille ( Wazemmes) des foyers de prévention de la délinquance. En 1945, il met en place le premier Centre d'observation et de triage (COT) de la région Nord. Après Pavillon 3, Graine de crapule (1945) lui assigne une image d'éducateur qu'il a toujours récusée (« Je n'ai pas l'intention d'éduquer qui que ce soit, j'ai l'intention de créer des circonstances favorables pour qu'ils s'en tirent et pour qu'ils vivent »). En 1946, il est nommé délégué de Travail et Culture pour la région Nord ; il y rencontre notamment André Bazin, Chris Marker, Fernand Oury et Aida Vasquez.

Avec l'aide de quelques intellectuels du monde de l'éducation et de la médecine, dont le psychiatre Louis Le Guillant et le professeur Henri Wallon, et en collaboration étroite avec plusieurs figures militantes de l'époque, dont Huguette Dumoulin, responsable du Service civique de la jeunesse (organe du parti communiste), et Irène Lézine, il crée la Grande Cordée en 1947 à Paris. L'association, dont Deligny définit l'activité comme « une tentative de prise en charge "en cure libre" d'adolescents caractériels, délinquants et psychotiques et qui ne semblaient pas pouvoir s'améliorer par un "placement" où que ce soit, y compris en Service psychiatrique », s'appuie sur les réseaux des Auberges de jeunesse et de l'éducation populaire. Des difficultés économiques et politiques compromettent ce qui sera sa dernière tentative dans un cadre institutionnel. La Grande Cordée passe l'été 1954 dans le Vercors. En 1955, Deligny quitte définitivement Paris, accompagné de quelques-uns des membres de l'association. Après plusieurs tentatives occasionnelles - en Haute- Loire, dans l'Allier-, au cours desquelles il écrit Adrien Lomme, qui paraît en 1958, le périple s'achève dans les Cévennes, vers 1963. Le tournage du Moindre Geste, improvisé aux environs d'Anduze dans des conditions plus qu'expérimentales, dure deux ans.

En 1965, éloigné, sans projet, Deligny n'est pas pour autant ignoré des circuits pédagogiques et intellectuels. Jean Oury l'invite à la clinique de La Borde. Il accepte mais reste en marge des groupes et des analyses. Il écrit des scénarios qui donnent lieu à des improvisations et à des jeux avec les patients ; il crée un ciné-club et projette des films militants dans les cafés du Loir-et-Cher. On lui délègue les patients les plus « incurables », les plus agités, ceux dont l'équipe soignante ne sait que faire ; il rencontre un jour Janmari, un enfant de douze ans dont l'autisme presque « pur » sera à l'origine de ses interrogations sur le langage et de son œuvre des trente années à venir. L'expérience de La Borde prend fin dans les Cévennes, à Gourgas, la propriété de Félix Guattari, qui accueille les groupes gauchistes et trotskistes de l'avant-68. Deligny, une fois de plus, « esquive ». Il s'installe dans un hameau voisin, à Graniès, qu'il ne quittera plus jusqu'à sa mort, en 1996.

Un réseau de « présences proches » - ouvriers en rupture de ban, paysans et fermiers locaux, travailleurs sociaux et marginaux, en tout cas non-spécialistes et non-éducateurs - s'organise progressivement dans le paysage huguenot et camisard des Cévennes. Un territoire se dessine. Sur ce « radeau » à l'écart des événements de Mai 68, Deligny accueille des enfants autistes - Françoise Dolto et Maud Mannoni lui en envoient plusieurs. Dans les années 1970, ils sont plus de vingt. Le réseau s'organise, dans le plus grand dénuement - aucune inscription ni appui institutionnels -, dans la nature, au rythme d'un « coutumier » réglé par une économie de subsistance et par ce « besoin impérieux d'immuable » qui définit l'autisme. [...]

La projection du Moindre Geste à la Semaine de la Critique à Cannes, en 1971, avait attiré l'attention des cinéastes. En 1974, Renaud Victor réalise, en collaboration étroite avec Deligny, Ce gamin-là, film-document centré sur la tentative des Cévennes et sur le personnage de Janmari. Au début des années 1980, le réseau, réduit et recentré autour de Graniès, survit toujours sans appui institutionnel. En 1989, Renaud Victor tourne Fernand Deligny. À propos d'un film à faire, essai cinématographique organisé autour de réflexions sur l'image et le langage développées dans un texte inédit, Acheminement vers l'image. Deligny fait retour sur la pensée d'Henri Wallon, lit Heidegger, Wittgenstein, les Souvenirs entomologiques de Jean-Henri Fabre et cultive une conception de plus en plus éthologique de l'« humain ». A part quelques éclipses, il ne cesse pas d'écrire. De 1990 à sa mort, en 1996, depuis sa chambre-bureau qu'il ne quitte plus, il travaille à L'Enfant de citadelle (autobiographie inachevée) et à des aphorismes (Essi) qu'il amaigrit jusqu'aux haïkus de Copeaux, son dernier manuscrit.

Source : http://zad.nadir.org/spip.php?article4597